Mon passé ? Si je l'ai laissé derrière moi, c'est parce que je ne peux plus rien y changer. Après tout, à quoi ça rime de toujours ressasser de vieux souvenirs ? Okay, ça fait de jolies histoires à raconter au coin du feu, fantastique ! Mais à qui je vais les conter ces fameuses histoires ? A Krueger ? Ce vieux bougre les a vécues en même temps que moi... Quant à Iks, je doute que ça puisse de toute façon l'intéresser. Non, vraiment, je doute qu'il soit vraiment nécessaire de revenir sur mon passé. Encore, s'il s'avérait que j'avais accompli quelque chose de notable, je veux bien, mais ce n'est pas le cas. Ah ça, on ne peut pas dire que je partage les ambitions que mon père avait pour moi : marcher sur ses traces et mener à terme les recherches qu’il a dû abandonner. Je ne serais sans doute jamais ce grand scientifique qu’il était avant son accident, je n’ai d’ailleurs jamais eu la passion qu’il éprouvait envers la préhistoire de notre monde. Exhumer des fossiles, les ramener à la vie pour en étudier le comportement. Pour moi, tout cela se résumait à voir l’avenir dans le passé.

Vivre sur les routes, c'est ça mon truc. On voyage, on rencontre des gens et on essaye de rester en marge de tous ces sempiternels conflits qui déchirent le monde. Quand je vois tous ces gosses, avec des rêves plein la tête, qui aspirent à devenir de grands scientifiques ou même, plus grotesque encore, des dresseurs légendaires, j’ai de la peine pour eux. C’est vrai, que peuvent-ils attendre de ce monde où être honnête est une tare et où l’ordre n’a plus sa place que dans des contes ? Déjà môme, j’exaspérais mes vieux avec mes pensées jugées trop sombres. Je voyais les pokémons comme des armes que je me refusais catégoriquement d’utiliser tandis que tous ceux de mon âge courraient les champs, pokéball à la main, en chasse de leur premier Roucoul ou d’un Fouinette esseulé. A aucun moment je ne m’étais vu marcher sur les routes en compagnie d’un Spectrum et d’un Zarbi… Mais j’ai compris que tout dépendait de l’usage que l’on fait de ses pokémons, et pour moi ce sont plus des compagnons d’infortune que de véritables possessions.

C'est sûr, je ne pense pas qu'un jour je serais amené à faire rentrer mon nom dans la légende, mais au final, cela me convient très bien. Je me fous bien d'ailleurs de toutes ces étiquettes qu'on me colle : voleur, voyou, brigand, malandrin, paumé. C'est même ironique de voir que la plupart de ceux qui vont me pointer ainsi du doigt ont sous leur toit tantôt des trafiquants de narcotiques, tantôt des types peu recommandables... Il faut de tout pour faire un monde, n'est-ce pas ? Pour l'instant, je me contente simplement de me faire oublier dans les coins où ma tête s'est trop faite remarquée, pour éviter les ennuis, mais ce qu'il y a de bien à Madrigal, c'est que les gens passent vite à autre chose. Par ailleurs, je sais qu'en cas d'embrouille je pourrais toujours compter sur mes deux compagnons de route pour me sortir d'affaire.
Je me rappelle ce qui m’a poussé à quitter le domicile parental, il y a des années de cela : je voulais disparaitre, échapper à ces contraintes que sont le temps et l’espace. Perdre le compte des jours et des mois, me soustraire aux points cardinaux ou à tout repère géographique ; être partout et nulle part, toujours et jamais. Hélas, nul ne s’évade jamais véritablement du plan physique, et telle aspiration est en soi vaine car même un être immortel reste soumis aux valeurs temporelles, tout comme la mort ne libère pas le corps de ses facteurs spatiaux… Là où les teintures, les vêtements, voire la chirurgie plastique peuvent offrir à un homme les changements qu’il souhaite, rien ne peut m’amener à caresser le rêve que je poursuis… J’ai alors choisi d’être apatride, j’ai rejeté la sécurité d’un domicile pour épouser le vagabondage, refusé la pérennité de l’emploi et la vie bien rangée. A ma façon, j’existe et n’existe plus, cueillant l’instant présent jusqu’à ce que l’avenir amène son lot de changements.

Quand j'y pense, je me dis que c'est peut-être tout de même un peu dommage d'avoir changé de nom pour justement tomber dans l'oubli plutôt que pour le faire connaître. Mais au moins, ça épargne à mes vieux de savoir que leur fils a choisi une voie bien éloignée de ce qu'ils espéraient pour lui, et c'est sûrement tout ce qui compte... Bon, il serait temps de regagner la civilisation ; je n'ai presque plus de clopes.

"Combien de fois je vais devoir le répéter ? Vous pouvez pas simplement demander à vos collègues ? Ça va faire trois fois qu'on me demande ça... Bon... Il a les cheveux bruns, voire limite noirs, un peu cendrés. Niveau de la taille, et bien, je dirais un mètre soixante-dix, tout au plus, pas plus grand que vous. Pas très épais, mais pas tout sec non plus, le genre d'allure qui vous fait dire qu'il doit sauter au moins un repas par jour quoi. Je sais qu'il avait une grande veste grise, assez foncée, et un genre d'écharpe autour du cou, plus claire, du reste, un genre de vieux jean troué et une sorte de besace en bandoulière... Sérieusement, ça va vraiment vous aider ça ..? Bon, bon... il avait aussi des mitaines. Non, une seule, à la main droite. Je le sais parce que ça m'a marqué justement. Vraiment, le voyou basique, avec un joli minois, peut-être, mais trop jeune pour que j'y fasse franchement gaffe. C'est tout, je vois pas quoi ajouter... Ah, si ! Il avait un piercing à la lèvre, celle du bas, et de ce que j'ai cru en voir, un autre à l'oreille... gauche... non, droite ! Vraiment, c'est tout ce que j'peux vous en dire... Après, comme j'ai dis à vos collègues, c'est juste quelques baies, je vais pas en faire une histoire hein !"

"Que je vous parle d'Alek' ? Bon, d'accord, mais je ne suis pas sûre d'être la plus apte à vraiment vous renseigner... C'est un chic type. Certes, pas franchement des plus fréquentables, mais pas un mauvais gars non plus. On a fait un bout de chemin ensemble, toujours flanqués par ses deux pokémons. D'ailleurs il ne me semble pas l'avoir vu une seule fois les rappeler dans leur pokéball... Enfin, de ce que je peux vous en dire, il est du genre optimiste, toujours à se satisfaire des petites choses. Bon, c'est pas non plus l'avatar même de l'altruisme, faut pas déconner, mais de là à dire que c'est quelqu'un de mauvais, je n'pense pas. Disons qu'il a sa conception de la vie, et que le vagabondage c'est son truc. Le reste, il s'adapte. D'ailleurs il assume pleinement les conséquences de ses actes, il m'a même dit qu'à aucun moment il ne s'attendait à ce que ce soit le monde qui s'adapte à son style de vie. Bien sûr, il chaparde ci et là, mais la plupart du temps, il se contente de ce qu'il peut trouver sur les routes. Quant à son attitude vis à vis de ses pokémons, et bien il les traite vraiment bien, comme on traite des amis au fond... Vraiment, j'ai passé un bon moment à marcher avec lui."

 Krueger, l'esprit frappeur à la retraite. 

Le premier de ces deux compères est un Spectrum surnommé Krueger, faisant écho à une vieille légende urbaine que lui contaient ses parents au sujet d'un pokémon qui la nuit venait insinuer des cauchemars dans les songes des enfants turbulents et rebelles. Alekseï le rencontra le troisième soir suivant sa fugue, alors qu'il n'était qu'un Fantominus. Alors que ce dernier prévoyait de tourmenter le vagabond égaré, il fut surpris par son calme et ne put, malgré pléthore de tentatives, l'effrayer. Frustré par cet échec auquel il n'était pas coutumier, le pokémon suivit sa victime deux jours et deux nuits durant, redoublant toujours d'inventivité pour le terroriser. En vain. C'est lorsqu'il s'apprêtait à déclarer forfait et à abandonner Alek' que celui-ci lui tendit une baie fraichement cueillie. Dès lors, les deux compagnons d'infortunes ne se quittèrent plus, le pokémon l'aidant depuis régulièrement dans ses rapts et y prenant même un certain plaisir.

  Iks, la vigie turbulente.

Le second est un Zarbi, affublé de l'affectueux surnom de Iks, du fait de sa forme. Ce petit pokémon qui au premier coup d'œil ne paye pas vraiment de mine a croisé le chemin d'Alekseï et Krueger très récemment. Attiré par la chaleur agréable d'un feu de camp auprès duquel ceux-ci s'étaient installés, il s'approcha sans pour autant sembler leur porter la moindre attention et resta suspendu devant les flammes toute la nuit durant. Au lever du jour, lorsque Alek' entreprit d'éteindre ce qu'il restait de flammèches, le Zarbi manqua de le charger, intercepté de justesse par Krueger. S'ensuivit une très courte rixe dont le curieux pokémon ne sorti pas vainqueur. Ne voulant se résigner à le laisser ainsi affaibli en pleine nature, le jeune vagabond le captura afin de le faire soigner à la première occasion venue. Cela fait, son récent possesseur prit la décision de le libérer, ce qui, à sa grande surprise, ne fut pas du goût du Zarbi. En effet, ce dernier se contenta de le fixer d'un œil hagard avant de lui coller les talons lorsqu'il s'éloigna. A présent, il a souvent pour rôle de faire le guet, situation qui semble l'enchanter, lui offrant sur un plateau d'argent une excuse pour s'adonner à son hobby favori : scruter... et accessoirement charger violemment quiconque en viendrait à tenter d'arrêter le trio dans leurs forfaits.