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Dans la vallée qui longeait la côte, je marchais en balançant les bras, chantonnant une petite mélodie enjouée, Prisme sur mon épaule. Je savais que Dorea et Aquene, en tête du groupe, discutaient encore de notre fameuse descendante, un peu givrée, je vous l’accorde, dans les tunnels des Splendeurs de Cristal. Après cet épisode, ils semblaient m’accorder plus de respect, ce qui flattait mon égo, qui avait repris sa taille originelle.

Dorea et Aquene avait été surpris de voir que quelque part au fond de moi, un cerveau - aussi petit soit-il - sommeillait. J’avais par exemple marché sur un dessin que la renarde avait adressé à son mentor : une petite Moi avec une loupe pointée vers mon oreille et un zoom de la vision que l’on pouvait en avoir : un petit haricot. Très élogieux... Pendant une petite heure, j’avais donné une leçon d’acting à Prisme, qui m’avait écoutée avec une attention quasi admiratrice. J’adorais cette nouvelle recrue ! Elle était parfaite, comparée à Dorea dont le passe-temps favori était de me critiquer. Nous étions "pareilles", bien que je sois humaine et qu'elle prenne l'apparence d'une chenille. Nous étions spéciales. Nous aurions un jour une vie fascinante et je sentais, au fond de moi, que nous étions liée. Que mon avenir dépendait d'elle. Sûrement Prisme jouerait-elle mon Pokémon acolyte dans une future série phare de la télévision ! Ou pas.
Je savais également que derrière nous, un Pokémon trottait. C’est d’ailleurs pour ça que nous nous arrêtions parfois. Entre temps, j’avais choisis le confort au détriment du style en adaptant mon sac pour en faire un sac à dos - vive les multifonctions !

- On fait encore une pause, lançais-je à l’adresse de Dorea et Aquene qui se trouvaient trois mètres devant nous, tout en posant Prisme à terre.

Je surveillais du coin de l’œil le petit Pokémon de type Glace qui se jeta dans un buisson en nous voyant marquer l'arrêt. La discrétion n’était visiblement pas son fort. Mais il avait réagit avec une rapidité incroyable. A pas de Medhyena, je m’approchais de l’arbuste.

- Tu joues à cache-cache ?

Une petite tête noire triangulaire cernée de jaune pointa le bout de son nez.

- Stalgamin ! lança le cône vivant.
- … Aaaah, c’est ton nom… J’avais pensé que tu m’avais insultée un peu plus tôt dans la journée. Dis, tu sais où se trouve le Centre Commercial ? demandai-je en m’accroupissant face à lui.

Petit signe négatif de la part du Stalgamin qui quittait entièrement sa cachette et me fixait avec ses petits yeux. Il s’inclina dans une révérence polie, puis m’expliqua tant bien que mal qu'il était en fait une femelle. La population Pokémon dans mon entourage était quasi exclusivement féminine. A cette pensée, je souris en me tournant vers Aquene, qui, le museau levé vers le ciel, semblait inquiet. Cela faisait à présent quelques heures que Dorea et lui étaient nerveux. Ca avait commencé par des glapissements, puis une envie d'accélérer le pas. Prisme, elle, examinait une petite feuille abîmée sur le sol. Trop mignonne... 
Le Feunard accourut vers moi et s’exprima dans son langage personnel, que je ne maîtrisais pas. Si seulement le traducteur de pensées de mon père était fonctionnel !

- Aquene, ça suffit ! Pourquoi vous êtes inquiet comme ça ?!

Dorea nous rejoint et s’amusa une nouvelle fois à décorer la terre de gribouillis.

- Et c’est reparti ! Jouons au Pictionary ! Quoi, vous avez peur de ne pas atteindre le Centre Commercial avant ce soir ? On le voit, là-bas, au fond.

Je tendais la main vers les lumières que nous suivions depuis déjà plus de quatre heures et qui paraissaient s’éloigner au fur et à mesure que nous marchions.

- Bon, vraiment tout au… fond…

Je venais de lire le « 6 jours » que Dorea tapotait de sa petite patte, sous le regard bienveillant et fier d’Aquene.

- Six jours, lis-je. Ce n’est pas possible !

La Stalgamin ferma les yeux, l’air sage, et acquiesça d’un signe de tête. Si, si, c'était possible !

- Et toi, pourquoi tu as quitté ta grotte ? rétorquai-je à son égard.

Stalgamin feint d’avoir peur. Dorea dessina des nuages et d’autres machins qui ne m’évoquait rien de connu. Mais en gros, ça devait vouloir dire soit "il va pas faire beau", ou "cours pour ta vie". Voilà que la miss jouait dans le drama maintenant ! Elle m'avait caché ce talent ! Aquene lança une flopée de « Feunard feunard » qui dans ma tête résonnèrent comme une alarme répétitive. Mais j’avais compris le sens général.

- On est en danger ici ?

On aurait dit que le dieu Pokémon Arceus était arrivé sur la colline : notre groupe fut baigné de lumière un court instant et mon équipe de bras cassés leva les yeux en guise d’extase.

- Oh, c'est bon ! C’est pas un miracle non plus ! Ca m’arrive de comprendre !

Puis, les rayons du Soleil furent cachés par un étrange nuage. Un nuage en mouvement, doté, à bien le regarder, de deux ailes à l’envergure imposante.
 
- Tadi ?

Mais lorsque le vautour fondit en piqué vers la terre, il fut évident que ce n’était pas DU TOUT Tadi. Nous nous baissâmes pour éviter son attaque, mais je compris, trop tard, quelle était sa cible.

- PRISME !

Je m’élançais vers elle, petite chenille seule au milieu de la prairie découverte, et me jetais sur elle au moment ou la Vaututrice ouvrait ses serres. Elle les resserra sur mon sac à dos.

- Non, il est neuf ! fut ma première réaction, alors que Prisme se lovait dans mes bras en voyant le sol s’éloigner.

Aquene agit sans attendre : il prit Dorea dans sa gueule et me sauta dans les bras, écrasant au passage la Lépidonille qui se réfugia sur mon épaule, dans le creux de mon cou. Nous perdîmes de l’altitude, avant de remonter de plus belle vers le ciel qui s'assombrissait légèrement. L’oiseau prédateur devait se demander comment un humain pouvait avoir pris autant de poids en quelques secondes. Mais elle ne lâcherait pas. Au sol, la Stalgamin secouait ses petites mains, sautant en l’air en agitant ses pieds minuscules. Elle semblait si seule, si perdue… On sentait sa détresse malgré l’altitude qui nous séparait.

- Prisme, Sécrétion.

Le fil toucha la poitrine de Stalgamin qui releva la tête pleine de reconnaissance. Elle s’agrippa à la corde fragile que Prisme remonta avec mon aide. La Vaututrice donna de plus grands coups d’ailes pour maintenir son vol stationnaire.

- Bon, bienvenue ma jolie ! A présent, très chers amis, je vous conseille de boucher vos oreilles.

Je prenais ma respiration, avant de crier de toutes mes forces.

- Lâche-moi ! Laisse-nous descendre, espèce d’idiot d’oiseau stupide ! Tas de plume sans cervelle ! Lâche-moi, lâche-moi, lâche-moi, lâche-moi…

Et je continuais ainsi. Elle en aurait bien assez à un moment !


« A un moment » arriva seulement cinq heures plus tard. Ma voix avait un peu faiblit, Dorea s’était endormie quand nous avions survolé la mer. La Stalgamin, renommée pendant le trajet Grace - ça se dit [greis] - regardait paisiblement le paysage, avec quelque part une plénitude et un zen qui ne faisait qu’attisée mon angoisse. Je sentais parfois Aquene qui glissait, et que je retenais malgré tout en le tenant dans mes bras. Je me voyais mal accueillir Hétalia avec une phrase comme : "Hey ! Tu viens, je vais te conduire à la tombe d'Aquene". Quant à Prisme, elle se tenait sur ma tête, l’air vaillant, prête à agir en cas d’alerte.
« A un moment » arriva quand nous survolâmes ce qui semblait être un immense complexe luxueux. Le Centre Commercial, immense tour vitrée illuminée en cette nuit vierge de nuages, où les étoiles se reflétaient donnant l'impression qu'il s'agissait d'une serre géante habitée par une nuée de lucioles.

- Lâche-moi … Lâche-moi… Lâche-moi ! Lâche-moi, lâche-moi, lâche-moi !

Je redoublais d’efforts : nous étions arrivés ! Si cette tête de linotte continuait, nous ne retrouverions jamais Hétalia ! N’empêche qu’elle nous avait économisés cinq jours de marche. Plutôt sympathique.

- Lâche-m-, continuai-je avant de comprendre une chose : si elle nous lâchait à ce moment précis, nous ferions une chute de plus de quarante mètres pour atterrir sur un bâtiment tout de verre vêtu. NE ME LÂCHE-PAS !!! …Ne me lâche pas ! Ne me lâche pas ! Ne me-

Trop tard.

- PRIIIIIIIISME ! Sécrétion !

Cette phrase serait sans doute culte un jour... 
Alors que nous étions en pleine chute libre, le fil toucha un balcon au-dessus de la terrasse d’un petit café où une danseuse présentait un agréable show. Sous notre poids, la sécrétion céda. Mais elle avait changé notre trajectoire, ce qui nous sauva. Nous atterrîmes sur une table du "Panaché d'Or", qui se fracassa sous le choc. Prisme roula jusque devant la scène et éternua. Grace se releva avec grâce et s’assit sagement sur une chaise voisine. Dorea se réveilla et me lança un regard meurtrier, me désignant comme coupable sans même avoir suivi la scène en entier. Du genre : "Qu'est-ce que t'as encore fais, toi...?". Enfin Aquene se releva et avança vers moi, m’aidant à me redresser. Second miracle dans ces dernières vingt-six heures : nous n’étions pas blessés. Mais l’effet de chute libre avant de nous balancer le long d’une liane tissée par Prisme me revenait en boucle. Je m’assis sur une chaise, près de Grace. Aquene s’assit à mes côtés, la tête haute. Dorea sauta sur mes genoux, alors que Prisme oscillait la tête en écoutant la musique.

- Vous… vous…, pleurnichait à notre gauche le gérant du bar qui contemplait avec effroi la table fracassée, les dégâts.
- Un thé verveine citron pour moi, lançais-je à l’adresse de l’homme qui me toisa d’un regard sévère. Et pour ma Goupix ça sera un lait frais. Aquene, que souhaiterais-tu boire ?

Devant mon sourire, le patron du café retourna derrière son bar en martelant le sol avec ses pieds.

- Bon, nous y sommes. Demain on visite en attendant Hétalia !
- C’est affreux, c'est horrible ! scandait une jeune femme à la télévision, qui, allumée derrière le comptoir, attirait bon nombre de regards. Une véritable catastrophe ! Je vous le dis, la fin du monde est-
- La fin du monde ? Oui ben attends, moi, je viens de passer cinq heure suspendue dans le vide ! Je suis sûre que c'est un truc, style "Mon mari m'a caché qu'il avait une double vie !". C'est rien ! Moi, maintenant, j'ai une quadruple responsabilité ! lançai-je avec ironie à l'adresse de mes quatre compagnons.

Dorea échangea avec Aquene un regard complice : Sepia n'avait aucune idée du chaos qui touchait Madrigal. Aucune conscience du danger qu'ils ressentaient depuis quelques temps. Pour Sepia, ce qui avait convaincu Grace de fuir les Splendeurs de Cristal n'existait pas. La Stalgamin se balançait sur sa chaise, comme une fillette cherchant à se rassurer. Si Dorea avait pu dessiner quelque chose, ça serait un énorme rond barré d'un trait en diagonal. Insécurité.

Edit Hétalia : la suite ici.